samedi 31 janvier 2009

Et le vent nous emportera....


J'ai découvert Sylvain Trudel avec "Du mercure sous la langue" et ce fut une véritable révélation. J'ai continué, grâce à Malice, avec "La mer de la tranquilité", recueil de nouvelles qui m'a vraiment touchée et embarquée dans un monde aussi émouvant que déconcertant.
"Le souffle de l'harmattan" est le deuxième roman de Trudel que je lis et, une fois encore, le charme, la magie, l'univers de Trudel m'ont emmenée dans une histoire où la gravité se cache derrière la légèreté de l'enfance. Comment Trudel parvient-il à si bien cerner le monde de l'enfance ou de l'adolescence? Il y dépose son lecteur avec un naturel et une facilité étonnante et déconcertante: avec lui, il a 10 ans ou 15 ans, à ses côtés il pédale dans les rues, les joues rosies par le froid ou le soleil, les yeux humides par la vitesse du bicycle lancé à toute allure.
Les deux héros, Habéké Axoum et Hugues, sont de jeunes garçons au parcours de vie débutant dans la douleur: le premier est né en Afrique et a été adopté, le second a été trouvé abandonné sur un parking isolé et recueilli par un jeune couple; l'un est noir, animiste, profondément attaché à son Afrique natale et ses coutumes, l'autre a les yeux bridés, se demande sans cesse d'où il vient, qui il est tout en clamant les poèmes étranges et parfois hermétique d'un certain Gustave Désuet. Deux coeurs meurtris par la perte d'un amour maternel, tous deux en exil intérieur, tous deux cherchant une lueur, une route à suivre loin de l'hypocrisie et la dureté du monde des adultes.
Entre petites et grandes bêtises, les deux compères se construisent un univers dans lequel une île déserte et isolée, leur île où ils pourraient ne plus grandir, attend qu'ils la rejoignent au bout de leur quête. Cette dernière est d'ailleurs incompréhensible aux yeux des adultes qui ne peuvent saisir la ferveur spirituelle dans laquelle les deux garçons sont engagés: la recherche de l'aieul d'Habéké le long des rails du chemin de fer ou encore l'invocation des esprits ancestraux de l'Afrique ne sont que perturbations s'achevant dans un désastre (une cocotte-minute sort carbonisée d'une étrange cuisine et un garage part en fumée).
De leur solitude est tissée une solide amitié, une amitié où la tendresse débordante accouche d'épousailles symboliques....encore plus fortes, plus indestructibles que le mélange de sang pour devenir frères de sang! Ils s'épousent pour ne plus se quitter, pour suivre un chemin commun à l'aune de l'éternité. Ensemble, ils ont la force de croire à l'impossible: la guérison de leur amie Nathalie qu'un cancer ronge lentement, la condamnant à ne jamais sortir de l'enfance. Ensemble, ils ont la force de croire que tout peut redevenir comme avant: ils kidnappent Odile, devenue jeune maman, après avoir assommé son compagnon et confié à la rivière le fruit de leurs amours. La fin du roman n'est pas forcément surprenante, après coup, mais comme à son habitude Sylvain Trudel y met une originalité et une sensibilité extrême et offre au lecteur un grand moment d'émotion et le sentiment que la boucle est bouclée de très belle manière!
Le monde des adultes est loin de saisir la quintessence de l'enfance qui lentement s'approche de l'adolescence: cette période, au fil du rasoir, au cours de laquelle les bêtises enfantines peuvent s'achever en drames, est en filigrane du récit de Trudel. On sent que le point de non-retour peut être atteint par ces deux Peter Pan à la recherche de leur île perdue, celle de leur origine, ce paradis perdu de ceux qui ont été séparé des leurs...comme l'harmattan, ce vent venant du Sahara et porteur de maladies et de dangers. Habéké et Hugues s'accrochent à leurs rêves tant qu'ils peuvent, histoire de rester encore enfants un peu plus longtemps avant de se briser contre le réalisme insensible de l'âge adulte.
Une fois encore, Trudel montre combien il est un auteur qui compte dans le paysage culturel et littéraire du monde francophone: il a une écriture protéiforme, sublime (j'assume mon côté fan!), tout en sensibilité et en humour (allant du plus grinçant au plus léger). Il est capable de nous emporter sur le tapis de la plus belle des poésie comme sur le chemin d'une crudité lexicale en rien vulgaire, de se lancer dans un discours facile d'accès comme dans une narration absconse, mystérieusement troublante et belle ou encore d'exprimer avec une facilité déconcertante (car criante de vérité) la naïveté de l'enfance ou les affres de l'adolescence qui ne verra pas l'âge adulte....sans doute est-ce cela la marque d'un grand auteur!
A nouveau, je ne peux m'empêcher de signaler combien son écriture, qui peut paraître ampoulée, précieuse, grandiloquente, est un véritable bonheur à lire et à savourer!




Mille et un mercis à Malice pour cette très très belle lecture!

jeudi 29 janvier 2009

A l'ombre de la lune


Helen Knightly, une femme d'une quarantaine d'année, vit seule depuis son divorce. Ses filles sont au loin, vivant leur vie, la première s'éloignant d'elle depuis que sa grand-mère a laissé tombé son dernier né sans que réagisse sa mère, la seconde lui ayant gardé confiance et tendresse.
Helen ne vit pas sous le même toit que sa mère, elle habite à une demi-heure de route et vient quotidiennement lui tenir compagnie. Elle la lave, lui brosse sa longue chevelure, lui prépare à manger, lui fait la conversation. Un soir, alors qu'elle doit laver sa mère qui s'est oubliée sous elle, cette dernière tombe et Helen ne peut la relerver pour la porter jusqu'à la salle de bain. Un geste, irréfléchi?, lui fait prendre un oreiller pour étouffer la vieille femme et en finir avec une absence (sa mère n'a que de rares instants de lucidité) difficile à supporter. Oui, Helen a tué sa mère, sans beaucoup de peine d'ailleurs, et dès le début du roman, le lecteur le sait.
Le roman s'articule alors autour des souvenirs d'enfance, d'adolescence d'Helen qui grandit entre une mère, belle mais neurasthénique, agoraphobe et recluse dans son monde, et un père qui s'absente souvent pour son travail....du moins est-ce la raison toujours invoquée. Helen et sa mère ont entretenu une relation étrange, déséquilibrée dans le sens où Helen est plus une mère pour sa mère que sa mère une mère pour elle. Une mère dure, impitoyable dans sa démence qui lentement la ronge, qui lentement transforme la vie des siens en un enfer indicible, qui lentement va conduire son époux à un geste irrémédiable. Une relation dans laquelle la haine et l'amour s'entremêlent jusqu'à devenir inextricables, une relation qui offre à la mère une place d'idole destructrice.
Helen se trouve confrontée à un sérieux problème: que faire du corps? L'abandonner et faire croire à un crime de rôdeur? Partir, fuir? Mettre un terme à sa vie pour ne plus rien assumer? Dans un ultime moment d'intimité avec sa mère, Helen ne peut s'empêcher de laver doucement, tendrement, ce corps qui l'a portée sans l'aimer, qui lui a donné la vie sans lui offrir la tendresse et l'amour maternel....un acte d'amour filial aussi beau que terrifiant, aussi tendre que douloureux. Helen va jusqu'au bout de son amour-haine envers sa mère quitte à ne jamais être comprise par autrui. Le lecteur est abasourdi par le naturel d'Helen face à ce corps sans vie, un frisson étrange et dérangeant parcourt son échine: peut-il éprouver de l'empathie pour Helen? Peut-il éprouver de la compassion pour cette mère effrayante d'égoïsme, aveugle au désarroi de ses proches, seulement soucieuse de ne paraître aux yeux de personne? Au fil du récit des souvenirs d'Helen, le lecteur se trouve face à un désagréable dilemne: plus il apprend à connaître la mère d'Helen, moins il a envie de juger et condamner cette dernière mais plus il s'imprègne de l'atmosphère moins il est enclin à fermer les yeux sur le geste, ô combien tabou, perpétré par Helen!
Qui est Helen? Qui est sa mère? Qui est son père? Entre la mémoire des jours anciens et le récit d'un crime commis avec naturel et spontanéité, défile une galerie de portraits d'un microcosme où tout le monde sait tout sur son voisin, où chaque fait et geste est commenté, décortiqué, jugé à n'en plus finir, où les réputations sont irréversibles. Alice Sebold montre, dans une scène particulièrement pénible entre Helen adolescente et les hommes des maisons voisines, combien de gentils voisins peuvent devenir veules et violents face à l'incompréhension devenue suspecte voire criminelle, elle laisse entrevoir les misères familiales ou affectives d'une société qui se replie sur elle-même et ne laisse pas de place à l'altérité, à ce qui sort de la norme, à l'inconnu qui, par la force des choses, dérange l'ordre établi...ce qui peut côtoyer l'absurde.
"Noir de lune" est mon premier roman d'Alice Sebold dont la lecture a été passionnante et très tendue: l'atmopshère très sombre émanant des relations mère-fille entre Helen et sa mère mais aussi entre Helen et ses filles est difficile à "digérer". La cruauté, involontaire?, de la mère envers Helen est souvent insupportable, de même que l'étrange sentiment amoureux, situé entre le mépris et la tendresse, de la mère envers son époux, époux qui ne compte pas ses efforts pour lui offrir une vie à la hauteur de ses rêves de jeune femme. La lune cache aux hommes une de ses faces, celle de l'autre côté du miroir....l'image d'une partie de l'âme que l'on ne voudrait jamais avoir à affronter!

Roman traduit de l'anglais (USA) par Odile Demange





mercredi 28 janvier 2009

Lecture, polar et TGV

La SNCF aime les livres et le fait savoir: après le prix polar SNCF, arrive dans les kiosques la nouvelle collection polar jeunesse, Voyage en Page, éditée en partenariat SNCF/Gallimard Jeunesse. Trois titres paraîtront en Février: "Vague de panique" de Aubert et Cavelli, "Le ferry des brumes" de A.Wagner et "Trans europa" de Stéphanie Benson. Chaque roman correspond à un niveau de lecture.


"Le ferry des brumes" (niveau 1):


Le superintendant Mackenzie et son fidèle adjoint, Ben, vont enquêter sur de mystérieux vols opérés sur les passagers des traversées en ferry d’Aberdeen aux îles Shetland, en Écosse. Ben, qui se faufile partout, découvre que les voleurs sont des pirates qui endorment leurs victimes avant de leur dérober leurs biens...






"Vague de panique" (niveau 2):


Alice et Christophe se rencontrent au bord de la mer, où ils passent leurs vacances. Alice aime la voile, Christophe a horreur de ça... Jules, le propriétaire d’un superbe voilier, les emmène pour une balade en mer. Mais il est assassiné... Christophe et Alice sont devenus des témoins gênants, et ils doivent tout faire pour regagner la terre ferme en sécurité, malgré la tempête qui menace..




"Trans Europa" (niveau 3):
Lena doit partir en vacances avec son père. Or, celui-ci lui laisse un mystérieux message codé et disparaît... Catastrophée, Lena prévient son grand frère, Anthony, et ensemble, ils décident de partir à sa recherche. Leur épopée les mènera en Espagne, puis à Paris et pour finir à Londres, au British Museum, en réunissant tout l’argent de poche et la ruse dont ils disposent pour financer leurs voyages en train.




Le prix d'achat de ces petits romans permettant de passer le temps lors du voyage en train (plus de 3h pour un Guingamp/Paris Montparnasse....le temps peut sembler long pour un enfant) est vraiment abordable: 2,50€ ....une dépense utile, non?
Je n'ai pas encore lu ces trois romans mais cela ne saurait tarder!

Truc? Bidule? Chose?


Sur la rive d'un grand lac, un éléphant trouve une drôle de chose, un machin bizarre, rayée rouge et blanc. Qu'est-ce que cela peut bien être? C'est sûrement un bonnet...hop sur la tête! Bobo l'éléphant, fier comme Artaban parade jusqu'à ce que Kiki l'alligator croise son chemin et lui fait comprendre combien il est ridicule, pauvre "grosse patate", avec un bonnet qui en réalité serait bien une jolie cape! Bobo jette son bonnet de dépit et part bouder dans la forêt, Kiki récupère sa cape. Bien entendu, les animaux se succèdent et se moquent de celui qu'ils rencontrent: Zaza, la brebis prétend que le machin n'est pas une cape (Kiki est "un grand cornichon"!), Kiki l'abandonne et s'en va bouder. La cape devient une "belle jupe" ce qui fait rire Juju le poussin et vexe Zaza qui jette sa jupe et va bouder à son tour. La jupe devient alors une "belle écharpe", Juju est tout fier mais est ridiculisé par Lili la fourmi qui le traite de "grosse banane". Bien entendu, Juju vexé se débarrasse de son écharpe et part bouder...où? Dans la forêt bien sûr! Le machin de Lili devient une "belle couverture" sous laquelle elle se prélasse.

Mais, la bouderie des animaux s'achève et tout ce petit monde se retrouve au bord du lac et se dispute: "Mon bonnet! Ma cape! Ma jupe! Mon écharpe! Ma couverture!" Ils tirent chacun de leur côté et arrive ce qui doit arriver....le machin se déchire en mille morceaux!

Le clou de l'histoire: un petit homme, tout nu, sort de l'eau et s'écrie....."Où est ma culotte?" Je vous laisse deviner la réaction de Bobo, Kiki, Zaza, Juju et Lili!

"Le machin" est un des albums sélectionnés pour Le Prix des Incorruptibles (Maternelle) et est un vrai bonheur à lire et à admirer! Pourquoi? Entre les insultes (vous savez du style "Maîcresse, untel m'a traité de...."!) joyeusement enfantines (Grosse patate....), l'imaginaire de chaque animal et leur récation finale, on se retrouve au coeur du monde de la petite enfance!

Par ailleurs, les illustrations réalisées à partir de morceaux de tissus différents tant sur la plan des matières que des couleurs, sont l'occasion d'explorer la richesse lexicale du monde des étoffes et autres tissus!

Côté structure de la langue, on retrouve le mode exclamatif "Quelle belle jupe!" ou "Quelle belle couverture!" ainsi que les phrases affirmatives "C'est une jupe." "C'est un bonnet" et les phrases négatives "Ce n'est pas une jupe" "Ce n'est pas une écharpe." Le champ lexical n'est pas oublié et l'album permet de faire comprendre à l'enfant qu'il est trop facile et trop vague de désigner tel ou tel objet par le terme indéfini de "machin" ou "truc". Chaque objet porte un nom précis! Une belle leçon de précision lexicale!

Autre domaine enfantin abordé: la bouderie face à une remarque mal acceptée. Certes, ici il y a moquerie, mais il est utile d'apprendre à l'enfant que l'humour est une manière positive d'aborder la rudesse de la vie en groupe: peu à peu on apprend à prendre du recul et à se décentrer pour mieux aborder les autres. Sans compter que se disputer entre amis, est normal, mais ne doit jamais être bien long ni grave surtout au sujet d'un objet....le matériel est superflu et n'est guère pérenne alors qu'une amitié est bien plus précieuse qu'un "machin"!

Une histoire amusante, riche et belle à lire et à relire!
L'avis d'Emmyne

dimanche 25 janvier 2009

Cadaqués


Un couple s'éprend d'une petite ville côtière catalane, en Espagne. Il y revient régulièrement, goûtant ses luminosités changeantes selon les saisons, ses havres de langueurs et de rêveries, ses incitations à dessiner, croquer ou peindre. Ce fut d'abord le logement dans une chambre d'hôtel, puis dans une pension, toujours la même avec la vue identique sur la mer et sur une île.
Le lecteur suit le récit de l'homme qui se souvient des jours, des heures passées à Cadaqués, village devenu petite ville, que l'on atteint après une épopée en train puis en car, serpentant le long de la côte et des flancs de la montagne aux senteurs méditéranéennes iodées. Un voyage initiatique, un rituel indispensable pour respirer le parfum unique de Cadaqués. Lors de la traversée d'un carnaval, Léa, sa compagne, a disparu mais a-t-elle vraiment disparu? Au fil du récit, l'écheveau est loin d'être simple à démêler....
"Cadaqués, aller simple" est impossible à résumer car grand est le risque de trop en dévoiler. La lecture est celle des souvenirs des sensations, des odeurs, des bruits, des musiques du village et de ses habitants; elle serpente entre "les chats alanguis sur les marches" et "le vent dans les branches du pin" à l'image d'un tortillard de la rêverie ou de la déambulation poétique de l'écriture. Même les déguisements du carnaval deviennent d'étranges figures oscillant entre le fantastique et le féérique: la réalité s'estompe devant l'imaginaire pictural de l'atmosphère particulière de Cadaqués.
"Cadaqués, aller simple" est aussi un monologue qui déroule les liens que tissent le couple avec Cadaqués mais aussi ceux lentement tissés avec leur intériorité, leur passé, leur être intime. Le narrateur dévide la pelote de leurs mémoires et construit peu à peu, en transparence, ce qu'a été leur vie.
Je n'ai pu rester insensible à l'écriture poétique de l'auteur et encore moins à ses références aux artistes du mouvement Surréaliste qui ont fréquenté cette partie de la côte catalane. Un très joli voyage où l'imaginaire est à chaque détour de phrase.





Ce roman a été lu dans le cadre du Cercle des Parfumés


samedi 24 janvier 2009

Un univers dans une tasse de thé


"(...) Un thé neuf pour chaque dimanche. Tu en pratiques les langueurs fruitées, les arômes subtils de bois, de fleurs, d'amandes. En toi, le temps s'infuse dans le chant du thé: cette prière, cette révolte de l'eau qui transmet aux feuilles éclatées la mémoire de leur vie dans le ciel flou, les pieds au plus profond de la terre.

Le maître dose ses paroles comme ses silences. il sait répondre quand il le faut, se taire quand les questions méritent la réponse dont la vie seule connaît la réponse. Derrière lui s'alignent une centaine de pièces de collection, les théières à mémoire, celles qu'on ne lave pas, laissant pour toujours l'empreinte unique d'une essence de thé à leur nuit de porcelaine. Entre deux lampées d'ambre clair, tu bois ses paroles, goûtes ses silences de cristal. Quatre-vingts ans vous séparent, vous lient. Il faut dix ans pour faire un arbre, cent ans pour faire un homme.

(...) Chaque dimanche, le Camellia Sin te réserve ce qu'il faut pour t'enseigner les rudiments du thé, ce délicieux prétexte à la conversation. Il t'apprend la mouvance des choses, te montre à ne pas te noyer dans la salade de fruits du marché de Cholon. Captifs, les dragons brouten les nuages."

(p 34 et 35)

in "La route des petits matins" de Gilles Jobidon


vendredi 23 janvier 2009

Rions un peu

Un ami vient de m'envoyer une "info" d'une grande drôlerie sarcastique. Bien entendu, je ne peux m'empêcher de la partager avec vous, LCA de tous les pays!
Après le Téléthon, voici venu le temps du Sarkothon! Les lecteurs du Nouvel Obs et du Bibliobs devraient savoir de quoi il s'agit.

Le colis....avec ou sans "La princesse de Clèves"?

mercredi 21 janvier 2009

Gek, Gek, Gek!


Une de mes résolutions pour 2009 mise rapidement en pratique: la lecture de mangas!
"Kitaro le repoussant" compte au moins 7 tomes regroupant une petite dizaine d'épisodes. J'ai emprunté le premier volet de la série à la médiathèque et ma foi je n'ai pas été déçue de ce choix.
Kitaro est le rejeton du dernier couple de morts-vivants du Japon. Il a été reccueilli par un employé ordinaire japonais qui vit seul avec sa mère. Très vite, Kitaro devient encombrant et gênant aussi décide-t-il de partir à l'aventure pour trouver un monde meilleur. Mais il ne part pas seul! En effet, non seulement il est revêtu d'un gilet rayé noir et jaune mais il est aussi accompagné par son père, devenu un oeil minuscule, celui qui a survécu à la mort.
Commence alors une série d'aventures plus mystérieuses, pittoresques les unes que les autres dans le monde traditionnel du Japon, celui qui n'a pas oublié les différents esprits peuplant l'imaginaire de la culture japonaise. Kitaro erre seul, imperturbable, dans un monde qui ne veut pas de lui mais qui ne peut tourner sereinement sans lui ...seul Kitaro peut délivrer les hommes de situations inextricables, de démons intransigeants et cruels ou de monstres venus d'Occident.
Kitaro est le maillon qui relie le Japon assoiffé de modernité, s'ouvrant à l'étranger et à ses cultures, et le Japon traditionnel où on sait qu'il ne faut pas oublier les mystères ancestraux. Kitaro est la clef de voûte unissant la tradition à la modernité dans un subtil équilibre: il est le héros qui établit une transition sans rupture car il a une certaine spiritualité qui lui donne une dimension moins simple que celle d'un héros ordinaire...tout un patrimoine culturel se retrouve dans le sillage de ce petit garçon à l'étrange regard et à la coupe de cheveux étonnante.
J'ai particulièrement aimé la dernière aventure dans laquelle Kitaro et ses amis "monstres" traditionnels japonais se retrouvent confrontés à une horde de monstres venus d'Occident: entre autres Frankenstein, Dracula, Le Loup Garou et les sorcières. Après une bataille acharnée qui décime les rangs de Kitaro, ce dernier parvient à remporter la victoire et rendre la liberté aux habitants de l'île grâce aux poils avec lesquels son gilet a été tricoté! Un hommage au culte des ancêtres, un hommage aux figures traditionnelles de la culture japonaise: malgré la puissante attirance envers la modernité et la rencontre avec les valeurs culturelles étrangères, les images profondément japonaises plient parfois mais ne rompent jamais. Les esprits et les monstres japonais possèdent autant de pouvoirs que ceux venus de l'Occident...il suffit simplement de ne pas oublier qui on est et d'où on vient.
Les dessins sont très simplifiés, les personnages stéréotypés mais très vite le lecteur est embarqué dans l'incroyable voyage de Kitaro au rythme de les cri-cris des grillons chantant, à chaque fin d'épisode, les louanges de ce dernier "Gek, Gek, Gek" ( gek = sale, repoussant) car "Qu'on se le dise, on ne se joue pas facilement de Kitaro le repoussant!"....qui est tout sauf repoussant: bien au contraire, il est extrêmement attachant, émouvant et drôle.
J'ai retrouvé dans les aventures de Kitaro l'atmosphère rencontrée dans les romans de Kawabata ou de Tanizaki qui expriment le douloureux accès du Japon à la modernité et sa complexe confrontation à l'Occident. Le raccourci peut paraître osé mais le fait que ce manga date des années 50 ne doit pas être étranger à mon impression.
Une agréable lecture pour qui souhaite oublier la trépidance de la modernité et lui faire ainsi un joli pied de nez!

Un recueil d'histoires amusantes qui ravira les enfants d'une dizaine d'année comme les jeunes adolescents.

Mangas traduits du japonais par Satoko Fujimoto et Eric Cordier




Les avis de planète BD des éditions Cornélius ici et

Les aventures de Kitaro existent en dessin animé ici

dimanche 18 janvier 2009

Autour du thé


La femme et la fille de maître Wou entrent dans la pièce pour vous faire les honneurs du thé de fleurs de lotus. Celui des grandes occasions, une boisson sublime, sans commencement ni fin. Le maître prend le temps qu'il faut, t'explique comment on le fabrique: en bourrant un petit sac de soie de feuilles de thé, qu'on dépose quelque temps dans une fleur de lotus naissante, dont le parfum inspire délicieusement l'âme du thé. (....) En suivant en cyclo-pousse les ballots de thé qu'il vous a fait amener par un coolie, tu te rappelles les mots que maître Wou glisse à ton oreille avant de vous quitter: "Méfie-toi des liqueurs opaques, elles sont comme les yeux sans âme. Le thé se sait lentement. La vie aussi. Il te faudra beaucoup de temps. Le nénuphar n'exclame sa fleur qu'à la fin de l'été. Tout est bien, n'aie pas peur. Je suis avec toi."
(p 24 et 25)

in "La route des petits matins" de Gilles Jobidon


Que sont nos vertes années devenues?


Jörg, un ancien terroriste d'extrême gauche, sort de prison après avoir passé vingt ans derrière les barreaux. Sa soeur Christiane, organise dans sa maison de campagne, un week-end de retrouvailles entre Jörg et ses anciens compagnons de lutte. Très rapidement, ces retrouvailles s'avèrent moins paisibles que prévu: les uns et les autres ont un vécu, des vies professionnelles et sentimentales à des lieues de la vie d'ancien déténu politique de Jörg. Tout le monde ressent la difficulté de faire table rase du passé, de regarder en face Jörg, celui qui est tombé pour ses idées, tombé pour le combat idéologique mené contre un capitalisme dévoreur, celui qui est tombé pour les crimes commis lors de ses combats. Le sentiment de culpabilité est le petit grain de sable dans les rouages du week-end entre vieux amis. La cause politique d'il y a vingt ans est loin de certains: le temps a passé, les révoltés estudiantins se sont assagis et adoucis...reste l'interrogation sur la manière d'affronter son passé, de le regarder en face et de l'accepter. Faut-il renier ses engagements? Faut-il renoncer aux valeurs défendues et vivre en paix avec le quotidien, le monde? Faut-il renier son passé ou lui rester fidèle?
Bernhard Schlink montre un héros fatigué, sombre, avare de ses paroles, mal à l'aise avec ses anciens amis: Jörg apparaît comme un homme de conviction perdu dans l'immensité d'une vie qui a continué son bonhomme de chemin pendant que la sienne s'arrêtait entre quatre murs d'une prison. Son combat a priori perdu contre un système économique et un type de société l'a-t-il rendu amer? Lentement, Jörg réapprivoise la vie en société, lentement il pose un regard enfin libre sur les autres et pose abruptement une douloureuse question: qui a trahi? Qui l'a donné aux policiers? Qui l'a envoyé pendant vingt ans derrière les barreaux? Ses amis se sont intégrés dans la société et ont composé avec les valeurs proposées par cette dernière: l'un, Ulrich, est devenu un important directeur de laboratoires, marié, père d'une jeune fille qui n'hésitera pas à jouer les lolitas avec le vieux héros usé, Jörg, l'autre, Karin, est devenue pasteur puis évêquesse et tente désespérement de semer la concorde sur la rencontre puis par ses prières d'amener l'assistance à regarder autrement, d'amener faire admettre aux tenants de la violence que l'on n'a pas le droit d'imposer sa vérité aux autres. Un autre, Henner, est devenu un célèbre journaliste au Spiegel et à Stern tandis qu'une autre, Isle est devenue enseignante et analyse les faits du passé en se lançant dans l'écriture où Jan, un camarade disparu, tient le rôle de l'électron libre qui a franchi la ligne rouge: elle lui invente une histoire post-mortem, une vie invisible où il devient un terroriste sans état d'âme jusqu'à ce qu'il disparaisse dans l'embrasement des tours jumelles de Manhattan, un certain 11 Septembre.
Au milieu des amis d'hier, un jeune homme détonne: Marko, révolutionnaire pur et dur qui souhaite ardemment que Jörg reprenne la lutte, soit le flambeau d'un mouvement protestataire jusqu'auboutiste s'alliant aux "camarades musulmans" et frappant le système au coeur de ses points sensibles. Puis, impromptue l'arrivée d'un jeune étudiant qui s'avère être le fils de Jörg: le week-end touche à sa fin et l'enfant qui a grandit aux côtés de ses grands-parents devient l'accusateur sans concession d'un père devenu l'ombre de lui-même.
Sous la frondaison des arbres du vieux parc mal entretenu de la maison de campagne, se nouent idylles nouvelles et se racontent les souvenirs d'amours anciennes....la nostalgie d'une jeunesse presque lointaine s'égraine au fil des mots et rend l'écriture particulièrement attachante. Le souvenir des évènements d'hier teintent le passé du sépia de la compassion: celle éprouvée tant envers l'ancien terroriste qu'envers la douleur d'un fils qui ne peut encore pardonner. L'amitié peut-elle réparer les erreurs passées? Peut-on encore tourner la page lorsqu'il y a eu beaucoup de tragédies humaines?
Dans "Le liseur", Schlink abordait le passé nazi de son pays, dans "Le week-end" il aborde, subtilement, les années terribles où la Faction Armée Rouge répandait la peur et le sang. Les années Bader tout comme les années de plomb en Italie et les combats d'Action Directe en France ont laissé une trace dans la société contemporaine. Une trace qui lentement refait surface au gré des libérations anticipées suscitant des remous plus ou moins exacerbés dans la presse...le passé récent porte trop souvent les stigmates des douleurs et des peurs pour pouvoir être ressenti sereinement par ceux qui l'on vécu.
Dans ce huis-clos à la campagne, Schlink met les souvenirs et les actes à plat sans accabler aucun des protagonistes et tout en signalant que le couple violence et politique est toujours un sujet dont toute société, toute démocratie doit se soucier sérieusement. Doucement mais sûrement, il monte l'intensité de la confrontation jusqu'au dénouement habile.
"Le week-end" est à placer dans la lignée du "Liseur": c'est un regard sur des passés qui dérangent et font mal, mais un regard qui n'accable pas et offre un espace de tendre compassion (sans pour autant dédouaner les actes les plus atroces). En un mot comme en mille, un excellent roman, photographie de l'actuelle société allemande avec ses peurs et ses envies de savoir même si cela est douloureux.

Roman traduit de l'allemand par Bernard Lortholary





Frédéric Ferney en parle ICI





samedi 17 janvier 2009

L'odeur sucrée de l'enfance


"Uruguay" est plus qu'un roman, c'est un chant d'amour à l'Uruguay de son enfance écrit par un Jules Supervielle qui, au fond de lui-même, ne l'a jamais quitté.
Un peu plus de cent pages pour faire sentir au lecteur les parfums d'une enfance insouciante, sur laquelle le temps n'a pas de prise. Une déambulation dans le passé reconstruit par les souvenirs et les bouts de lui-même que l'auteur a laissé là-bas, en Uruguay, ce paradis presque perdu.
Chaque page est un voyage, chaque page est un récit odorant, envoûtant d'où émanent lumière, ombre, cris enfantins, galops des chevaux, crissement des hautes herbes ou chaleur d'un soleil implacable ou hivernal.
La nuée de sauterelles dévoratrices laisse derrière elle un paysage lunaire et une musique craquelée, crépidante...le bruit des pas sur ces ogres minuscules. Les maisons coloniales dorment sous les palmiers languissants, au rythme des déplacements feutrés des femmes, la pampa appelle à la liberté des courses à cheval sous un ciel d'un bleu que l'on ne voit que là-bas...en Uruguay, les gauchos machos se promènent en chaloupant des hanches, héros d'une aventure au coeur de l'infini d'un paysage maritime de hautes herbes, hommes aimant "bien à passer aperçu. Eperons d'argent, applications d'argent sur la selle et les brides. Et un air de dire qu'il n'a besoin de rien ni de personne. Il ne daignera pas voir un seul passant et s'avance dans une rue très fréquentée comme s'il était en rase campagne." (p 51)...scènes dansant sous la plume nostlagique et amoureuse d'un Supervielle qui se souvient. Comme on aimerait sentir cette brise qui tourne autour des chevilles des jeunes filles, comme on aimerait regarder cet arbre étrange qui n'est qu'une variation sur la gamme des herbes, comme on aimerait être dans cet Uruguay du début du XXème siècle, bercé par la douceur de vivre ou partant pour rassembler le troupeau éparpillé dans la pampa!
Un court roman, un délice à lire et à savourer....le temps s'arrête parfois lorsqu'on lit de tels petits bijoux, sertis dans un écrin de mots et d'images dont on ne se lasse pas!



Livre lu dans le cadre du Cercle des Parfumés

mercredi 14 janvier 2009

Fenêtre


Lorsque j'ai retrouvé cette photo prise cet été à Pontrieux (dans la rue menant à la librairie d'occasion), j'ai cherché des poèmes sur les fenêtres...je suis tombée sur celui de Baudelaire, que je ne connaissais pas et que je trouve très beau. Je ne peux résister au plaisir de le partager avec vous.


Les fenêtres
(Baudelaire, Petits poèmes en prose)

Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vit, rêve la vie, souffre la vie.

Par delà des vagues de toits, j'aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec presque rien, j'ai refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.

Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément.

Et je me couche, fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même.

Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? » Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que suis ?

mardi 13 janvier 2009

L'armée qui sortait de terre

Environ vingt ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un général italien est missionné, par un accord bilatéral, pour récupérer en Albanie les corps des soldats tombés au combat. Une longue quête commence pour ce général, accompagné d'un prêtre, entre montagnes et mer, entre souvenirs épars et étrange réalité, entre les mauvaises routes cahotantes et les séjours à l'hôtel...celle de récupérer des fantômes redevenus poussière afin de les rendre à leur famille. Petit à petit, au fil des saisons, des semaines, des mois, ce général pas comme les autres, devient le général d'une armée morte sur laquelle plane une ombre aussi impalpable que continuellement présente: le colonel Z. à la triste réputation. Malgré les relevés exacts des tombes, malgré l'organisation a priori sans faille de la mission, les mésaventures s'accumulent et la rencontre d'un général allemand (accompagné d'un maire) à la mission similaire et un tantinet véreux (les ossements se ressemblent tous donc pourquoi s'embêter à ce que tout concorde!) font basculer l'aventure patriotique vers une farce au goût amer. Peu à peu, la mission s'enlisant dans la boue de la mauvaise saison et dans les incidents frisant le tragi-comique, ce général auréolé du contenu sacré de la démarche se rend compte de l'absurdité de sa quête au point de perdre pied en jetant dans le tumulte d'une rivière les ossements du fameux colonel Z. si longtemps cherchés...et d'en rire d'un rire libérateur.
Derrière le récit d'une quête oscillant entre le sacré et le comique, Kadaré esquisse avec subtilité et tendresse les contours de l'âme, des âmes de son Albanie. Cette Albanie faite de fierté, d'âpreté, de douleurs, de résistance et de fraîcheur. Un pays de montagne où le moindre recoin se révèle être d'une infinie poésie, celle des bergers aux chants d'une immense tristesse, celle qui porte la perte, celle que porte la vendetta, celle qui fuse des fusils, celle qui veut laver l'honneur. Des figures emblématiques viennent interpeller le général italien au cours de sa quête: ainsi ce berger descendu seul de sa montagne, le fusil à l'épaule et fauchant jusqu'à son ultime souffle les envahisseurs; ou encore ce vieux terrassier....terrassé par les restes d'un ennemi enseveli depuis vingt ans, image de l'infinie douleur, de l'inextinguible souffrance, de l'immense haine d'un peuple qui jamais n'a voulu se soumettre au cours de son histoire tragique, ballotté entre les persécutions ottomanes et chrétiennes.
La quête promène l'errance du général sur des terres arides, noires, coincées entre les montagnes inhospitalières et les mornes plaines où se déversent pluie et neige sous un vent lugubre et froid. Très vite, le temps n'existe plus, il s'étire jusqu'à rester immobile: les villages, les hommes et les femmes, ne semblent pas avoir changé depuis des siècles....même le communisme semble être enlisé dans ce particularisme temporel. Les êtres comme les choses ne suivent qu'une seule et unique chose: la coutume immémoriale, racontée par les contes, les chants gutturaux, les paysages immuables. Celle qui fabrique un peuple courageux, sans passion, respectueux des coutumes et qui joue une histoire où le tragique ne peut être que la toile de fond (la scène où le général emmène le prêtre assister à un repas de noces est d'une intensité extraordinaire et d'une violente poésie porteuse d'une immense émotion).
"Le général de l'armée morte" est un roman où cohabitent plusieurs formes littéraires telles que le conte ou le journal intime et qui est construit comme une pièce de théâtre, au détail amusant: le général italien ne verra de ce pays méditerranéen que le vent, la pluie, la neige et la boue; sa quête commence sous la neige, triste et glauque, pour s'achever de la même façon, pluie et neige glauques....l'exergue avait pourtant prévenu le lecteur "Tenez, je vous les ai ramenés. Le terrain était rude et le mauvais temps s'est acharné sur nous." Un roman où souffle le vent d'une belle écriture puisant sans relâche dans les racines poétiques des paysages tourmentés d'une Albanie, ilôt surréaliste isolé dans ses montagnes, engluée dans un temps qui n'existe que pour elle. L'émotion et le rire se croisent et s'emmêlent à chaque page, l'horreur et la beauté sont parfois effrayantes tandis que le lecteur est embarqué dans un voyage où le temps n'est plus de mise.


Roman traduit de l'albanais


dimanche 11 janvier 2009

Pfff


Et voilà, l'année 2009 à peine éclose qu'une partie de mes bonnes résolutions s'envole en fumée!

Entre les propositions alléchantes de Catherine et Grominou, mon coeur à force de balancer finit par choisir la gourmandise....je me lance dans les deux défis littéraires proposés: Blog-o-trésors et La littérature policière sur les 5 continents!

Tout d'abord, parlons un peu du défi lancé par Grominou: Blog-o-trésors!



Après un travail titanesque de collationnement de titres essentiels glanés sur les listes établies par les participants hautement courageux, Grominou a mis en ligne ICI une liste de plus de 700 titres parmi lesquels on peut choisir 4 titres à lire entre Janvier et le 31 Décembre 2009. L'engagement peut être honoré sans stress et sans risque: je me suis donc mise sur les rangs et ô! miracle, j'ai trouvé 4 titres de la liste dans ma longue PAL.

"La nuit des temps" de René Barjavel (lu)
"Bleu, blanc, vert" de Maïssa Bey
"Insecte" de Claire Castillon (lu)
"Dans la main du diable" d'Anne-Marie Garat (lu)


Parlons maintenant du défi littéraire lancé par Catherine: Littérature policière sur les 5 continents.



Une fois parcourue la liste de propositions faites par Catherine, je me suis aperçue que j'avais de quoi alimenter ce défi dans ma PAL (ou à la bibliothèque)!!! Héhéhé, encore une occasion de faire baisser, un tantinet soit mais baisser quand même, cette sacrée PAL qui s'obstine à augmenter (en effet 3 des titres sont dans ma PAL)

Europe:
"R&B Blitz" de Ken Bruen (lu)
Asie:
"La promesse du samouraï" de Dane Furutani (lu)
Afrique:
"L'homme qui venait du passé" de D.Chraïbi
Amérique:
Un roman de Harlan Coben (je ne sais pas encore lequel)
Océanie:
"La mort d'un lac" d'Arthur Upfield (lu)

samedi 10 janvier 2009

Les orages de la guerre


"Oeuvre sans doute la plus célèbre et la plus lue d'Ernst jünger, ce récit scrupuleux ne se borne pas seulement au témoignage; il est encore et plus peut-être un roman d'apprentissage où nous voyons un jeune engagé volontaire se découvrir dans sa réalité spirituelle à travers l'expérience sanglante et atroce de la Première Guerre mondiale." Ainsi commence le préambule à l'avant-propos et à la lecture de "Orages d'acier".
Et tout est dit, enfin presque, dans ces quelques lignes, sur ce qu'est ce récit extraordinaire écrit, à l'aide de son journal de guerre, après la Grande Guerre par un écrivain qui connut le goût de la poudre et du sang d'un des plus horrible conflit armé.
Ernst Jünger retrace quatre ans de conflit où les belligérants se trouvaient de part et d'autre d'une ligne de combat ravinée par les tranchées, proches les unes des autres, par la boue, par les cratères creusés par le tir incessant de bombes. Ce sont quatre années rythmées par les stratégies élaborées par les états majors: les batailles qui laminent sauvagement les régiments, la fameuse guerre de position, puis la grande offensive, point d'orgue d'un combat sans merci qui a laissé exangues les deux armées.
Ce qui est intéressant et formidable c'est de lire un récit écrit par un soldat allemand, de lire une guerre par le prisme de l'autre, complétant ainsi l'aperçu d'un conflit abordé dans la lecture d'une part de Erich-Maria Remarque, "A l'ouest rien de nouveau" et d'autre part celle de Barbusse, "Le feu", et de Dorgelès, "Les croix de bois". La boucle est bouclée, cercle parfait de boue, de sueur, de peur, de courage, d'exaltation, de sang, d'horreurs....et d'infernal bruit d'un perpétuel feu d'acier mortifère.
Ce qui peut être déroutant c'est cette réécriture romanesque à partir d'un journal de guerre, rendant difficile la différence entre le vécu réel et celui reconstruit par la fiction, la sublimation du souvenir. Entre ce qui relève du témoignage général au sujet d'évènements ou perceptions vécus par n'importe quel soldat et ce qui relève du propre ressenti de cette guerre par Jünger comme élément d'une initiation ou d'un apprentissage lui permettant de construire son intériorité, le lecteur se perd dans ce méandre du non-dit, dans l'entrelac du diffus et du sensible. En effet, le courage enthousiaste et exalté des soldats fut-il réel ou enjolivé par le travail insconscient de la mémoire et de l'écriture? Jünger ne parle pas de la lassitude du soldat, de cette dépression létale parfois devant un combat qui dure au point d'en perdre son sens: y a-t-il eu des mutineries côté allemand comme il y en eut côté français lors de l'année charnière du conflit, l'année 1917? Le lecteur ne le sait pas hormis quelques fugaces allusions à l'apathie et au désenchantement de certains soldats revenant du feu. Jünger n'insiste pas sur la déshumanisation des soldats face à l'atrocité des combats, l'horreur indicible des blessures et des agonies solitaires dans le no man's land. Par contre, si le lecteur se met à lire entre les lignes des extraordinaires descriptions des pilonnages ou des champs de bataille, l'aspect traumatique de la Grande Guerre, machine infernale à broyer l'âme humaine, se devine puis s'entend.
Ce qui est passionnant dans la succession des chapitres, portant chacun un nom de bataille, c'est la description du quotidien d'un soldat, d'un officier, sur le front. Les tâches d'entretien de la tranchée, des casemates, de l'armement, le ravitaillement, les pauses, les gardes ou les reconnaissances mettent le lecteur dans l'ambiance tantôt sereine, tantôt angoissée, d'un régiment éparpillé sur une ligne de front. Ces gestes banals sont vitals pour la sauvegarde de la discipline mais surtout celle du moral des troupes...un soldat occupé ne pense pas à la peur qui lui tenaille les entrailles ou à la perte de compagnons d'armes. Le lent et étrange déplacement des lignes de front de la Somme à Verdun montre un paysage déchiqueté par l'enfer d'acier qui tombe sans relâche, un paysage redessiné par la puissance dévastatrice de l'artillerie....et comble du surréalisme, les galeries des vers de terre serpentent dans les tranchées, les trottinements des souris tintent dans la terre, les couinement des rats se font entendre tout comme le gazouilli entre deux séries de fureur tonitruante des oiseaux, musique improbable dans ce monde où la brutalité est de mise.
Ce qui est d'une absolue horreur, c'est le pouvoir évocateur du champ lexical choisi par l'auteur, lors de la réécriture, pour donner à entendre et à sentir à son lecteur le bruit infernal d'une guerre de l'immobilité (ou de la lente avancée), ogre à l'appétit inextinguible de chair humaine. "Orages d'acier" est écrit dans une langue splendide, léchée, traduite magnifiquement: le passé simple, temps de la narration par excellence, est un vrai miel à lire! Les mots possèdent la musicalité des bombardements, des sifflements des balles, des explosions ouvrant des crevasses, pièges mortels, et déchiquetant les corps: le lecteur est au coeur des combats, il sent l'odeur et l'exitation perverse de la poudre, celle âcre et suave des morts; il est en compagnie de ces hommes qui éprouvent en un étrange mélange plaisir suprême et paroxysme de la souffrance. Il y a de l'épopée dans ce récit, il y a la mémoire de toutes les grandioses (?) batailles des hommes des murs de Troie aux rives de la Bérézina, il y a du lyrisme dans l'extase de l'exploit du lieutenant Jünger lors de l'ultime bataille, la plus terrible car sonnant le glas de la défaite.
Ce qui est à souligner, c'est que ce récit est écrit du point de vue d'un officier allemand, engagé volontaire, éduqué et cultivé, parlant et comprenant l'anglais et le français. Le regard porté sur les combats engagés n'est pas celui du soldat de base, mais celui d'un chef qui doit montrer l'exemple et gagner le respect de ses hommes par ses actes de courage et ses décisions précises et salutaires.
"Orages d'acier" est un regard exceptionnel porté sur la Grande Guerre, un incontournable de la littérature du XXè siècle, un classique de la littérature allemande. C'est aussi une lecture poignante, parfois cruelle, souvent épouvantable mais toujours intense!

Extraits:

"Il flottait au-dessus des ruines, comme de toutes zones dangereuses du secteur, une épaisse odeur de cadavres, car le tir était si violent que personne ne se souciait des morts. On y avait littéralement la mort à ses trousses - et lorsque je perçus, tout en courant, cette exhalaison, j'en fus à peine surpris - elle était accordée au lieu. Du reste ce fumet lourd et douceâtre n'était pas seulement nauséeux: il suscitait, mêlé aux âcres buées des explosifs, une exaltation presque visionnaire, telle que seule la présence de la mort toute proche peut la produire.
C'est là, et au fond, de toute la guerre, c'est là seulement que j'observais l'existence d'une sorte d'horreur, étrangère comme une contrée vierge. Ainsi, en ces instants, je ne ressentais pas de crainte, mais une aisance supérieure et presque démoniaque; et aussi de surprenants accès de fou rire, que je n'arrivais pas à contenir. "
(p 143)

"La Grande bataille marqua aussi un tournant dans ma vie intérieure, et non pas seulement parce que désormais je tins notre défaite pour possible.
La formidable concentration des forces, à l'heure du destin où s'engageait la lutte pour un lointain avenir, et le déchaînement qui la suivait de façon si surprenante, si écrasante, m'avaient conduit pour la première fois jusqu'aux abîmes de forces étrangères, supérieures à l'individu. C'était autre chose que mes expériences précédentes; c'était une initiation, qui n'ouvrait pas seulement les repaires brûlants de l'épouvante. Là, comme du haut d'un char qui laboure le sol de ses roues, on voyait aussi monter de la terre des énergies spirituelles.
J'y vis longtemps une manifestation secondaire de la volonté de puissance, à une heure décisive pour l'histoire du monde. Pourtant, le bénéfice m'en resta, même après que j'y eus discerné plus encore. Il semblait qu'on se frayât ici un passage en faisant fondre une paroi de verre - passage qui menait le long de terribles gardiens."
(p 388)


Récit traduit de l'allemand par Henri Plard




L'avis d'Alfred Teckel ici




mercredi 7 janvier 2009

La rentrée des P'tits Chats


Cela faisait un peu longtemps que je n'avais pas pensé aux P'tits Chats lecteurs! Les fêtes étant passées, me voilà avec un album amusant à présenter:

"Grosse légume"! Attention âme sensible s'abstenir (la fin du ver est absolument, épouvantablement drôle!)

C'est l'histoire d'un petit ver, tout vert, qui grignote avec un évident plaisir gourmand les légumes qu'il rencontre sur son chemin. Et il y en a des légumes: poireaux, poivrons, céléri, asperge, chou, courgette (oh le beau toboggan que cela fait!), aubergine, fenouil, radis, maïs (en épi), endive, petits pois, tomate et citrouille. Une agréable visite dans le potager. Bien entendu, à force de goûter goulûment à toutes ces bonnes choses du jardin, notre ami le ver prend de la bedaine ce qui peut être gênant, voire fatal, lorsque l'on veut s'extirper d'un légume! Le triple saut que l'on fait peut faire atterrir partout sauf sur un trampoline.

Le texte est uniquement constitué des noms des légumes goûtés et d'onomatopées fort à propos rythmant le parcours de notre ver gastronome et offrant de belles plages de rires (il y a de l'humour bienvenu et des clins d'oeil amusants). Le petit plus amusant: les mots ondulent comme le chemin du ver, notre héros gourmet!

C'est un plaisir de lire, un plaisir des yeux et des papilles car, diantre!, ces légumes sont fort appétissants!

Côté illustrations, on est happé par la joliesse du trait et des couleurs!

Cet album jeunesse fait partie de la sélection finale pour le Prix des Incorruptibles, catégorie Maternelle....les classes de MS et de GS de mon école participent, pour la première année, au jury littéraire. (au vu de la sélection....départager sera un véritable travail de défense de ses convictions et d'argumentation!!!)

NB: il faut tout lire même la quatrième de couverture qui vaut son pesant de cacahuètes!

mardi 6 janvier 2009

Accro aux polars?


Vous êtes un grand lecteur de polar, vous aimez participer à des jury de lecteurs, alors vous serez sans doute tenté par l'initiative de la SNCF "Prix SNCF du polar", prix qui existe depuis 2000.

Pour de plus amples informations et éventuellement s'inscrire cliquez ICI

Les 6 romans finalistes 2009 sont "Montmartre, mont des martyrs" de Chantal Pelletier, "Ténèbres et sang" de A.W Rosto, "Les morsures de l'ombre" de Karine Giebel, "Le carré de la vengeance" de Pieter Aspe, "Tonton clarinette" de Nick Stone et "L'otage" de Olav Hergel.

Je me suis inscrite....peut-être pourrai-je participer au jury de l'an prochain!

lundi 5 janvier 2009

Entrelacs

Elisa Robledo est une brillante physicienne enseignant dans une université madrilène dotée d'une plastique que plus d'un mannequin lui envierait! Aussi Elisa a-t-elle tout pour être heureuse: l'intelligence, la beauté, un travail à la hauteur de ses capacités et de ses ambitions. Seulement, une ombre pèse lourdement sur sa vie, une ombre dont l'origine remonte dix ans plus tôt, lors d'un séminaire d'été réservé à la fine fleur de la jeunesse scientifique. Que s'est-il donc passé sur le campus? Une simple rencontre qui bouleversera la vie d'Elisa et d'une poignée de scientifiques: la rencontre avec une théorie folle avancée par David Blanes, physicien espagnol de renommée mondiale, celle de la théorie des cordes! Elisa sera retenue pour faire partie d'un groupuscule trié sur le volet selon les compétences de chacun et travailler, dans le plus grand secret sur une île isolée du monde, sur un projet autant fabuleux que fou: le projet Zigzag ou la possible remontée dans le temps à partir de la capture de particules de lumière.
Seulement, un couac viendra enrayer la belle machine, un couac terrifiant et insaisissable, jetant hors de l'île les rescapés de l'horreur. Depuis cette nuit cauchemardesque, Elisa et ses compagnons, débriefés et réinserés dans la vie quotidienne, sont la proie d'étranges délires, d'angoissantes hallucinations, phénomènes qui les plongent dans la solitude et parfois la dépression. Que s'est-il donc passé, cette fameuse nuit? Pourquoi ces visions, ces yeux blancs dictant leur muette volonté, gâchent jour après jour la vie de ces scientifiques? Ont-ils touché du doigt une zone interdite? Ont-ils joué au jeu dangereux d'apprentis sorciers?
Toujours est-il qu'un soir, une voix connue prononce au bout du fil, dans l'oreille d'Elisa le nom de code fatidique de Zigzag. Commence alors une course poursuite à travers l'Europe où se mêlent scientifiques, décidés à vendre chèrement leur peau et à en finir avec leur invention maudite, et services secrets plus retors que nature.
Somoza se plaît à jouer avec les nerfs de son lecteur, avec ses peurs et ses angoisses en distillant de grandes pincées de psychanalyse (que d'aucun peut trouver pénible et long), une dose de sexe et de fantasme, de beaux filets d'hémoglobine (brrr, j'en tremble encore rien que d'y penser) apportant un vent de terreur panique bienvenu pour maintenir la pression sur le pauvre lecteur au bord de l'évanouissement. Ah! J'allais oublier un saupoudrage conséquent d'équations, de jeunes et vieux physiciens aux prises avec les pires tentations pour obtenir un polar proche de l'horreur, c'est à dire un polar qui fait vraiment très très peur, un polar où la folie des hommes peut provoquer d'insupportables dégâts.
Somoza explore avec jubilation les conséquences d'une théorie scientifique, la théorie des cordes (article Wikipédia pour les curieux) qui consisterait à se saisir des particules de lumière d'un lieu donné à une heure donnée et de les interpréter. En les ouvrant, il serait alors possible de lire ce qui a été enregistré et regarder de monde tel qu'il était avant, il y a une heure, deux heures, deux mille ans voire des millions d'années. Comment absorber alors la révélation d'un film défiant le temps? Comment sortir de l'extraordinaire instant de plaisir du au visionnage de dinosaures ou de la crucifiction du Christ? C'est ce que décortique joyeusement Somoza en jonglant avec les concepts les plus ardus de la science et les diverses psychologies des personnages.
Les allers-retours entre le présent d'Elisa et son passé donnent un rythme passionnant au récit, provoquent des rebondissements plus fous et imprévisibles les uns que les autres....jusqu'à la chute qui est une pure petite merveille à laquelle le lecteur est loin de s'attendre tant les fausses pistes et vrais indices ont été éparpillés au fil de l'histoire.
Avec "La théorie des cordes" Somoza présente, en plus d'un thriller trépidant, une réflexion sur l'utilisation des découvertes scientifiques: à vouloir toucher au Temps, les conséquences les plus dangereusement perverses ne sont jamais éloignées et le couperet proche de tomber sur la tête des apprentis sorciers.
Une lecture tourbillonnante, étourdissante, haletante et jubilatoire même si les frissons sont au détour de chaque page et que l'horreur tapie dans l'ombre des rebondissements.


Roman traduit de l'espagnol par Marianne Millon